C’était il y a 30 ans pile poil et ça ne nous rajeunit pas. Il y a 30 ans, donc, une belle anecdote, que j’ai déjà racontée, mais que je ressors avec plaisir aujourd’hui.
Le 31 octobre 1988 tombait un lundi. Ça peut paraître insignifiant comme rappel, mais non, vous allez voir. Je devais déménager mes bureaux, et avais décidé de le faire ce jour-là. Veille de la Toussaint, il était évident que tout le monde ferait le pont. Et que les clients nous laisseraient donc faire ce déménagement à l’aise.
Pour les Belges qui s’en souviennent, le téléphone à l’époque relevait du monopole de l’ineffable RTT, entreprise kafkaïenne qui fait aujourd’hui passer Proximus pour un exemple de modernité et d’orientation client, c’est dire. Il fallait six semaines à la RTT pour effectuer un bête transfert de ligne téléphonique. L’horreur. Mais j’étais dans les temps : j’ai demandé le transfert deux mois à l’avance, et obtins une réponse positive. Ouf.
Peu coutumier toutefois d’une quelconque efficacité de notre entreprise nationale, je m’enquis, une dizaine de jours avant, d’une confirmation. Et là, ce fut la cata. Mais non, monsieur, ça n’est pas possible, pensez bien, tout le monde fait le pont… J’eus beau expliquer que deux mois plus tôt ils savaient déjà que le 31 tomberait un lundi et juste avant le 1er, rien n’y fit. Mon interlocutrice ne put que me faire part de son impuissance. Je menaçai. De tout. Lettre au ministre ou, pire, au syndicat. Grève de la faim ou, pire, du zèle. Immolation, conférence de presse, etc. La brave dame me promit de tout mettre en oeuvre pour m’aider. Et le lendemain, miracle, elle m’annonça qu’elle avait supprimé le congé d’un employé. Et que le transfert serait effectué. J’avais ce que je voulais, et gardais l’esprit serein, merci la RTT.
Jour J, lundi 31 octobre. Alors que le camion était quasi plein devant les anciens locaux, je me rendis à la nouvelle adresse, histoire d’ouvrir les portes et de dérouler le tapis rouge. Mais ce que je découvris me fit déchanter. Devant la porte, seul accès possible au bâtiment, un trou. Et au fond du trou, mon pauvre gars qui fébrilement chipotait avec des fils rouges, jaunes, verts et bleus.
– Mais que faites-vous là ?….
– Ben, j’installe le téléphone, ce n’est pas cela que vous vouliez ?
Je le sentais, le gars était un peu fâché sur moi. Pensez, on avait supprimé son congé.
– Mais oui, je veux le téléphone, mais mon camion de déménagement va arriver !…– Oh, pas de problème, je peux reboucher sans problème, mais vous n’aurez pas votre téléphone…
– Ecoutez, que ça soit clair : je veux le téléphone mais je ne veux pas de trou devant la porte !
Du fond de son trou, le gars me fit signe que cette équation était totalement impossible. Je commençais à paniquer, zieutant vers le haut de la rue le camion qui allait arriver. Aïe, me disais-je, ils vont me facturer des heures en plus… Mais ce n’est pas possible, dis-je au mec, v ous avez quand même des passerelles à la RTT ? non ?... Et c’est là que, sans le savoir, mon interlocuteur me sortit une réplique qui me fait encore sourire 30 ans plus tard : Ah, non, ça n’est pas possible, parce que le service des passerelles fait le pont !
Je ne l’avais pas remarqué : c’était Raymond Devos qui était au fond du trou.