Pendant longtemps on l’a appelée Tante Monique. Même si elle n’était pas notre tante. Cousine germaine de notre maman, elle avait grandi avec elle. Les deux petites cousines qui faisaient des bêtises. Toujours, d’après ce qu’elle racontait elle-même, à l’initiative de Tante Monique. Tellement proche qu’elle avait tout naturellement été choisie comme marraine de Michel, notre frère aîné.
Son souvenir traverse mes bientôt 60 ans de vie.
Enfant, j’adorais aller à… oui oui Enghien.
Cette petite ville n’a, je crois, sans doute pas beaucoup d’atouts à proposer à ses visiteurs, mais pour moi c’était Disneyland avant la lettre. La maison qu’occupait Tante Monique était tout autant hantée qu’enchantée. Peut-être était-elle totalement banale mais à mes yeux d’enfant, elle regorgeait de coins et recoins. On y jouait à cache-cache. Et les cachettes que l’on trouvait résonnaient des rires tonitruants de notre tante qui s’amusait à nous débusquer sans la moindre discrétion.
Elle était pétillante. Rigolote. Cultivée. Et totalement bohème. Prof de français, elle roulait en deuch, avec tous les cahiers de ses élèves qui jonchaient le tapis de sol et se trimballaient partout au gré des virages toujours pris sans aucun ménagement. Elle conduisait comme la nonnette de la Grande Vadrouille et ça nous faisait autant rire que frémir. Les après-midi chez elle, dans une magnifique campagne, étaient un mélange de simplicité rustique au feu de bois et bol de soupe, et d’élégance dans les mots, les regards et les notes de piano.
C’était mon enfance. Parmi les moments les plus sereins de celle-ci.
Adulte, j’ai commencé à ne plus l’appeler tante. C’était comme une vieille amie qu’on aime retrouver. Pas vieille dans le sens de vieille, vous me comprenez. A chaque fois elle me remerciait pour le mot que je lui avais écrit au moment du décès de son mari, mon oncle Ali, qui n’était pas plus mon oncle qu’il ne s’appelait Ali. Oh Pierrot ! me faisait-elle avec tous ses superlatifs, et avec son art consommé de mettre de l’humour dans ses émotions, ou l’inverse, on ne savait jamais avec elle.
Et puis notre vieille amie est devenue vieille. Une belle vieille. Droite dans sa courbure. Assurée dans ses hésitations. Jeune dans sa vieillesse. Et toujours rigolote dans ses exclamations.
La dernière fois que je l’ai vue, elle a pris la parole devant tout un parterre de cousins cousines ou faux neveux fausses nièces. Avec ma mère. Les deux jeunes cousines devenues octogénaires étaient comme un duo. Ma maman dans son rôle de « Madame Loyale » qui dit le vrai ; et Monique qui exagérait tout, pour rendre tout comique et beau.
Sans le savoir elle nous faisait ses adieux.
Peu après, son cerveau a commencé à suivre les méandres des cahiers de ses
élèves, cahoti-cahotant dans la deuch préférée de mon enfance. Ses phrases tant
chéries ont perdu de leur sens. J’étais triste de voir cet esprit si alerte et guilleret perdre de son tonus.
Monique est morte juste avant la Saint-Nicolas. Pied-de-nez à nos enfances. Je ne la verrai plus sourire. Mais cette magnifique image de la joie de vivre restera en moi. En tapant ces mots, je pense à elle, et le sourire que je ne parviens pas à masquer me donne envie de lui dire Oh Monique !…