Lettre à deux amis qui n’aiment pas facebook

Posté le 15 octobre 2008 dans Divers

Mes chers amis,
Sachez avant tout que je suis profondément attaché à la liberté, à la mienne comme à celle des autres. Chacun fait ce qu’il veut évidemment, et en premier lieu par rapport aux modes.
Mon attrait pour facebook n’est toutefois en rien ancré dans une question de mode, mais bien dans mon observation de la communication. Je suis convaincu que facebook n’est pas un phénomène éphémère, comme le seront sans doute Second Life ou de nombreux blogs. Je suis convaincu également que facebook a un avenir plus assuré que Google ou Skype, lesquels peuvent être concurrencés radicalement en quelques mois. Il suffit qu’un moteur de recherches programmé sémantiquement soit lancé pour quasi mettre par terre Google. Et il suffit que facebook justement implémente un logiciel de communication orale pour prendre la place dominante de Skype.

Facebook, selon moi, ne va pas disparaître pour deux raisons :

  1. Il répond à un besoin qui n’avait aucune réponse jusqu’à présent. Pour comprendre cet argument, il faut comprendre facebook. Sans quasi rien faire, tu es au courant d’un coup d’œil de ce qui se passe dans la vie de tes connaissances (tes “amis”) et eux le sont de ce qui se passe dans la tienne. Au courant, bien sûr, de ce que les uns et les autres veulent bien en dire. Il n’y a donc aucune intrusion. Et si voyeurisme il peut, extrêmement rarement, y avoir, ce n’est que parce que de l’autre côté il y a exhibitionnisme.
    Tu vas me dire, Jean-Etienne, que toi tu préfères voir les gens en live, autour d’un verre de bière après avoir été écouter le brame du cerf. J’apprécie fortement ce genre de rencontre, mais elle n’est pas toujours possible, et j’ai de très nombreux amis qui sont éparpillés à pas mal d’endroits de la planète. Dont toi, mon cher Jean-Etienne (160 km, finalement, c’est une belle distance, dans un sens ou dans l’autre…). Et dont toi aussi, mon ami et frère Ameziane le Kabyle, qui préfères peupler de ton auguste personne les salons de thé d’Alger la Blanche plutôt que de flatter ta connexion Internet à l’heure où tout le monde s’est déjà couché.
    Je poursuis en pensant donc à vous, mes chers amis avec qui j’aime tant parler et rigoler, et dont l’absence dans mon paysage facebookien quotidien constitue un réel manque pour moi.
    Ainsi, j’ai des amies et amis aux Etats-Unis, en Algérie, en Espagne, à Kuala Lumpur, à Dubaï… Des amis que je ne vois jamais, faute d’opportunités, mais dont j’ai le sentiment qu’ils font partie de mon quotidien. “Magali a la crève”, vois-je sur ma page d’accueil. En soi, ça n’a rien d’original du tout, et vous allez me dire que c’est son problème. Mais je peux lui faire un petit salut amical, à elle qui vit dans le nord de l’Espagne et qui passe bêtement sa journée avec son mouchoir et sous la couette. Je n’ai plus vu Magali depuis 5 ans, mais facebook nous a permis de renouer. Grâce à sa crève.
    Ainsi, dans ma vie, je n’ai jamais connu une période comme ces six derniers mois, où j’ai retrouvé de très nombreuses personnes qui avaient compté dans mon adolescence, et qui, par la force des choses, avaient quitté mon paysage, et moi le leur.
    Ainsi, j’ai eu des discussions d’adulte, avec des enfants de certains de mes cousins, enfants que je n’avais connus que bébé.
    Ainsi, j’ai créé un groupe sur facebook autour de mon nouveau livre. Ce groupe, je l’ai créé vendredi en dix minutes. Il comprend aujourd’hui près d’une centaine de membres, dont je ne connais même pas la moitié, et dont de très nombreux Algériens, qui n’avaient jamais entendu parler de moi. Je vais bien entendu exploiter ce petit réseau qui s’initie, au bénéfice de tous ses membres.
    Ainsi, j’ai commencé à écrire un roman à quatre mains avec Lila, mon amie de Dubaï que je n’ai plus vue depuis un an et demi et qui m’a retrouvé grâce à facebook.
  2. Facebook ne va pas disparaître parce que sa richesse est double : son logiciel ou son interface est extrêmement bien conçue et réalisée, en outre dans de très nombreuses langues (orientation récepteur) ; mais son contenu, lui, est l’oeuvre, aujourd’hui, de 100 millions de personnes. Et ce contenu n’a rien d’anecdotique. Il y a de la poésie, des gens qui s’offusquent, de l’admiration, de la politique, de l’engagement, de l’amour, de la philosophie. Un contenu d’une richesse incomparable, qui est une œuvre collective et qui est basé sur cette valeur essentielle : l’amitié.

OK, ce terme est fameusement galvaudé. Ces “demandes en amiage” ne respectent pas profondément le sens que l’on donne à amitié dans la vie “réelle”. J’ai des amis sur facebook que je ne vois jamais. Et j’ai de vrais amis dans la vie que je ne croise jamais sur facebook. La preuve : vous.
Mais j’ai aussi de vrais amis dans la vie réelle que je ne vois quasi jamais. Vous, notamment.

Allez, facebook ou pas, et période du brame ou pas, ça me fera plaisir de vous revoir. Et d’ici là, je vous embrasse. Et Magali, ne t’en fais pas, la crève, ça va ça vient.

Pierre

6 commentaires pour Lettre à deux amis qui n’aiment pas facebook

  • matthieu dit :

    Excellent plaidoyer pour les réseaux sociaux en ligne, mais rien ne garantit que Facebook survive à long terme : la concurrence est féroce, et la rentabilité des investissements pas encore assurée comme le signale l’article du Monde.

    http://www.lemonde.fr/technologi...

    Tiens, ça me donne l’idée d’une application Facebook qui créerait une copie de sauvegarde des infos de contact de tous les amis en prévision de la subite vaporisation dudit réseau 😉

  • Tim dit :

    S’il est vrai que le contact facebook ne remplacera jamais le "live", il permet de le susciter, voire de le faciliter. La preuve, le 31 octobre prochain, je vais à un souper retrouvailles avec ma classe de rhéto. Sans Facebook, on en serait resté aux "il faudra que" qui termine très souvent les conversations avec de "vieux amis" qu’on n’avait plus vu depuis longtemps et qu’on croise au supermarché où à la pompe à essence. Maintenant, j’ai quand même une petite appréhension. Peut-être n’auront nous pas grand chose à nous dire. Après plus de 15 ans, l’évolution de chacun, à tous les niveaux fera-t-elle de nous des "étrangers" qui n’ont rien en commun ou presque… Dans ce cas, si nous en étions resté à des contacts facebookiens, nous aurions entretenu l’espoir que rien n’avait changé… Nous verrons.

  • sahyilinne dit :

    votre analyse est tout à faite cohérente, mais je me permets de la contredire sur quelques points.
    vous êtes-vous simplement demandé : "comment faisions-nous avant que Facebook existe ? avant même qu’internet existe ?"
    pour autant que l’être humain existe, il aura toujours eu des contacts éloignés, mais avant, nous prenions le temps de leur écrire une lettre manuscrite, accompagnée de photos argentiques, d’un peu de parfum, même. on ne se contentait pas d’envoyer un simple "poke" ou un petit message écrit en quelques secondes qui se fond dans la masse. on appelait la personne, aussi, histoire d’entendre sa voix. plus important : on prenait le temps de l’appeler, et rien d’autre. on prenait le temps de se consacrer à elle, uniquement. et pas sur un réseau virtuel qui nous la présente toute cuite sur un plateau d’argent.
    ce que je veux dire par c’est que contacter à distance demandait plus de temps, certes, mais demandait aussi une implication essentielle que nous avons aujourd’hui perdue.
    plus personne n’envoie de lettre, cela prend trop de temps d’écrire à la main. et forcément, on a perdu l’habitude, c’est tellement plus facile d’envoyer un mini-mail en quelques clics. mais qu’est-ce que cela signifie ? tout cela n’est finalement que virtuel, impalpable.
    alors facebook ne remplacera pas le contact ‘live’, bien sûr, mais je pense qu’il remplace aussi le contact à distance qui perd tout de sa valeur originelle..
    alors, vous possédez beaucoup d’amis habitant bien loin, et grâce à FB, vous avez, comme vous dites "l’impression" qu’ils sont moins loin. et c’est cela qui est aussi triste. avec facebook, on a l’IMPRESSION d’être moins seul, mais en vérité, nous ne sommes que très seuls face à notre écran, non ?
    et personnellement, lorsque je reçois par exemple une lettre d’un ami, j’ai beaucoup plus le sentiment qu’il a pris le temps de m’écrire, rien qu’à voir son écriture manuscrite qui n’appartient à personne d’autre. tandis qu’un simple petit commentaire sur une photo, même s’il fait plaisir sur le moment, ne signifie rien et se perd parmi les milliards d’autres commentaires existants dans cette sphère grouillantes de profils d’anonymes qui se fondent dans la masse, dans la foule, dans le troupeau de moutons.
    il est clair que facebook peut avoir l’avantage de faciliter la mise en valeur de nos univers et productions artistiques, visuelles, musicales, politiques et j’en passe. mais à nouveau, prenons simplement le temps de réaliser que des milliards de gens avant nous (et bien heureusement, des milliards de gens encore aujourd’hui) ont fait connaître leur talent sans cet outil de communication virtuelle. grâce à des flyers, des manifestations, des sites internet, des journaux, des magazines,… je crois que vous avez compris où je veux en venir.
    alors faire connaître votre livre par facebook, c’est bien, mais ne serait-ce pas bien mieux de le faire connaître par un contact réel avec vos lecteurs, par quelque chose de plus concret ? et le mérite de l’artiste qui se fait connaître dans la vraie vie est bien plus grand !
    alors oui, facebook a tout pour plaire; c’est l’oeuvre de gens extrêmement intelligents, qui ont compris comment fonctionne l’être humain.
    vous pensez qu’il ne disparaîtra pas, je me permets de douter de cette affirmation ;
    je crois simplement qu’il y a des gens, comme moi, qui ont essayé, et qui se sont rendus compte de ce qu’ils perdaient, de ce dont ils passaient à côté, de tous les désavantages que cela comportait, de ce qu’ils voulaient vraiment. des gens qui se sont rendus compte et qui continueront à se rendre compte, que finalement, on en a pas tant besoin que ça.
    cet ami d’enfance, que j’aurais pu retrouver sur facebook, si c’était vraiment un ami, je n’aurais pas perdu contact avec lui. et autrement, le destin me fera peut-être le croiser dans le train, sinon, tant pis ! une vision un peu fataliste, mais je ne crois pas qu’un réseau VIRTUEL pourra modifier notre destinée.. non.
    en tout cas, si ma destinée doit être modifiée, si je dois être reconnue en tant que grande artiste, ce ne sera pas grâce à facebook, j’ai trop de fierté pour ça.
    je pense que comme on assiste aujourd’hui à une effervescence de gens qui adhèrent aux produits bios, il y a une effervescence de gens qui voudront revenir à des choses vraies, concrètes, qui quitteront facebook.

  • sahyilinne dit :

    …des gens qui quitteront facebook, comme je l’ai fait, ce que je n’ai pas précisé dans mon looong monologue, mais que vous avez sûrement deviné !
    🙂

  • sahyilinne dit :

    toujours moi :
    alors que je continuais à me renseigner sur facebook (c’est ainsi que je suis tombée sur votre blog), j’ai trouvé, après vous avoir écrit, ce texte, très pertinent, que voici :

    http://www.cyberpresse.ca/opinio...

    une chose est sûre, je ne suis pas la seule à penser ainsi.
    tapez "je n’ai pas facebook" sur google, et vous le constaterez par vous-même.

    et je ne saurais dire pourquoi mais je suis intimement convaincue que de plus en plus de gens vont avoir une prise de conscience telle que j’ai pu en avoir, moi ou ce Monsieur Laporte, ou bien d’autres, et que ce nombre de gens ne cessera de croître.

    ABE!
    🙂

  • Le Guilb dit :

    Bonjour Sahyilinne,

    J’aurais aimé échanger plus perso après ce long commentaire. Merci en tout cas.
    Je ne suis d’ailleurs pas en désaccord avec ce que vous défendez, même si je vais vous avouer qqch d’horrible : je ne sais quasiment plus écrire à la main. En tout cas, j’ai horreur de cela. Toutes mes lettres, d’amour, à mes enfants, d’anniversaire, passent par mon clavier. Je comprends votre poésie du temps de l’écriture, de l’envoi, des gestes nécessaires. Mais de mon côté, je peux me passer de cette poésie.
    Je crois que ce qui compte, c’est ne pas "remplacer". Facebook ne doit surtout pas remplacer le contact direct. Comme le téléphone ne doit pas le faire non plus. Si on prend les réseaux sociaux comme un "plus" et non comme un "à la place de", tout va bien.

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