Levons le voile

Posté le 19 mai 2019 dans Mes convictions en com

L’horrible tract d’Ecolo, aux accents communautaristes et aux positions tranchées, distribué par une parlementaire aguerrie, Zoé Genot, m’a totalement ébranlé. Je me sens face au dilemme mis en scène dans Soumission, de Houellebecq. Ce livre, que certains qui ne l’ont pas lu ont prétendu islamophobe, n’est qu’une fable. Qui raconte le possible vers lequel on risque d’aller.
Savez-vous par exemple que le Halal, que l’on croit incontournable depuis des siècles, n’est devenu une norme à respecter que début des années 80 ? Sous nos yeux quoi, et avec notre bénédiction, au point qu’il est maintenant difficilement évitable dans les cantines collectives.

Je fais partie d’une génération qui a réussi à mettre le religieux là où il doit rester : l’intime. Je ne crois qu’à la loi des Hommes. A l’heure où tant de hargne est exprimée, le vivre ensemble et le dialogue interculturel ne peuvent exister que sous l’ombrelle de la laïcité. Une laïcité qui ne nie pas Dieu, mais qui ne divise pas pour autant. Les mosquées, les églises, les temples et les synagogues peuvent bien sûr exister. Mais hors ces lieux de culte et hors le coeur des croyants, la place publique doit rester neutre pour être accueillante. Tolérante.

Depuis les affirmations de Genot – Oui au voile au guichet des administrations et à l’école, oui au choix des congés scolaires en fonction des options philosophiques, oui au maintien des cours de religion, oui à l’abattage rituel – j’ai discuté avec pas mal de candidats rencontrés çà et là. Tous sont mal, clairement mal. Mais lorsque je leur pose des questions sur les positions d’Ecolo en la matière, les réponses restent évasives. Chèvre-choutistes.

En ce qui concerne le voile, la position tourne autour de l’âge du discernement : à partir de 15, 16 ans, le voile serait autorisé pour éviter toute discrimination.
Et c’est là que je ne suis (du verbe suivre) pas Ecolo : si elles sont en âge de discernement, à elles de comprendre les règles établies. Et de s’y plier. Oui à la religion dans les coeurs, pas dans les habits.

Des exemples :

  • A Alger, je discute avec une étudiante voilée. Très sympa et franche. J’ose aborder la question de son voile. Tu ne peux pas savoir comme je le regrette, m’explique-t-elle. Je l’ai mis à 16 ans et mes parents étaient furieux. Elle continue en m’expliquant qu’elle ne peut pas le retirer parce qu’elle deviendrait « la femme qui a retiré son voile »… Je sais qu’elle va se marier bientôt et lui demande alors pourquoi elle ne profite pas de son changement de quartier pour retirer le voile. Mon mari ne tolérerait pas ça, répond-elle, ne fût-ce que parce qu’aux yeux de ses amis il n’apparaîtrait comme pas assez macho.
  • A Casa, j’ai bossé pour une boîte qui était dirigée par une femme. Jamais, m’assura-t-elle, elle ne recrutera une femme voilée. Parce que, croyante et pratiquante, elle reste toutefois totalement tolérante. La foi, c’est dans la tête, m’expliqua-t-elle. Je sais que j’ai des collaboratrices qui boivent ou fument pendant le ramadan. C’est leur droit. Mais si j’avais une employée voilée, je suis sûre qu’elle se sentirait obligée de le dire dans le quartier.
  • A Alger toujours, dans un bureau belge : une stagiaire d’origine musulmane est menacée par ses collègues d’aller en enfer parce que son argent a servi à payer une bière, lors de son pot de départ dans un hôtel international. Une bière…
  • J’ai donné une formation à l’équipe de la pharmacie d’un hôpital bruxellois. Essentiellement des femmes. Ce n’est qu’en sortant que j’ai réalisé que plusieurs d’entre elles étaient voilées. Tout simplement parce qu’elles savent que sur leur lieu de travail, tout signe convictionnel est interdit. Elles s’y conforment, c’est comme ça.
  • Dans un organisme public qui dépend de la Fédération Wallonie-Bruxelles, tout le monde sait que la règle est identique, tout au moins pour les femmes qui briguent des fonctions de contact avec le public. Elles le savent. Et s’y conforment.
  • Récemment, j’ai donné un cours à une classe d’une école supérieure de Charleroi. C’était hors de l’école. Plusieurs femmes étaient voilées. Et on a discuté, franchement, des difficultés d’insertion socio-professionnelle qu’elles risquaient de rencontrer. Jusqu’au moment où j’ai réalisé qu’en réalité, à l’école, elles ne peuvent pas porter le voile. C’est la règle. Et elles s’y conforment.

Alors, chers amis d’Ecolo, ça veut dire quoi l’âge de discernement ? Ca veut dire, un tant soit peu, comprendre la loi et accepter, ou non, de la respecter. Etre progressiste, c’est construire une société plus forte, plus mûre, plus tolérante, plus libre. Retourner en arrière, ce n’est pas le progrès. Sauvons les avancées sociétales de l’Europe sur le plan des libertés !
Ces dernières années, j’ai eu des contacts avec pas mal d’étudiants. Et j’ai rencontré de très chouettes filles d’origine maghrébine, avec un potentiel énorme, de raisonnement comme de manière de s’exprimer. C’est réjouissant. Toutes avaient clairement tourné le dos au voile.

Adoptons donc une position claire sur ces questions. Ca facilitera la vie à tout le monde. La loi est la même pour tous. Et ça ne mettra plus les directions d’école dans l’embarras de fixer elles-mêmes des règles difficiles. La loi !
Mes amis d’Algérie, du Maroc et de Tunisie qui aspirent à la laïcité nous en veulent à nous, Européens, de ne pas être plus clairs. Leur combat est déjà tellement difficile que nos positions judéo-chrétiennes, chèvres-choutistes ou, comme le dit Franz-Olivier Giesbert, islamo-gauchistes ne leur facilitent absolument pas la tâche.

Alors, Ecolo : levez le voile sur le voile !

13 commentaires pour Levons le voile

  • Françoise Noël dit :

    Très belle analyse. Merci Pierre 👍🏼👏🏽👌🏽

  • Janie Cailliau dit :

    Bravo Pierre

  • Sandrine Heerebout dit :

    Ton article est intelligent, clair, généreux et limpide.
    Ecolo commence sa descente en enfer, c’est de leur faute.
    J’avais envie de dir” Dommage”, je remplace par : ” Tant mieux, mieux vaut prévenir que guérir”
    Encore bravo, Pierre.

    • Note que pour ma part, je ne souhaite absolument cette descente aux enfers. Mais si c’est le cas, ce sera en effet de leur faute.
      Et en tout cas je ne veux pas d’un monde imaginé par Zoé Genot.

  • Marc Ghijsdael dit :

    Analyse correcte.

  • Il a fallu attendre 30 ans pour comprendre l’invasion que nous subissons actuellement. J’ai envie de partager plusieurs choses sur ce mur.
    Dans les années 1990, lorsque j’étais encore étudiante à Bruxelles et que j’allais rejoindre mon futur mari dans son kot (il était encore étudiant en médecine), il y avait un garçon, marocain qui avait une chambre dans notre commu, avec qui j’ai eu plusieurs fois l’occasion de discuter et, à l’époque, j’avais été choquée quand il m’a dit un jour : « je suis ici pour profiter de vous, je fais mes études, trouve un travail et renvoi l’argent à ma famille. Là-bas, je suis un Dieu. Je suis musulman et j’espère qu’un jour, on vous envahira, ici. C’est déjà en cours. Facile pour nous de nous plaindre de racisme, c’est notre force, et vous êtes discrédité avec ce mot quand vous vous rebellez contre nous. On a nos codes et un jour, vous nous mangerez dans les mains… ». Je ne lui ai plus jamais adressé la parole. Non pas que je sois raciste, mais de la façon dont il avait un sourire (pervers) en me disant cela. Je ne l’ai jamais oublié.
    Plus tard, en allant à Océade, mon mari et moi (et nos amies norvégiennes), Dan est allé au sauna et hamman. Il y avait un belge entouré de magrhébin. Il se faisait harceler. Dan a compris qu’il allait se faire lincher. Il s’est installé à coté de ce belge et est intervenu, calmement, pour éviter que ce belge ce fasse lincher. Un des maghrébins, en quittant le sauna, s’est retourné contre le belge et lui a dit : « tu as eu de la chance cette fois-ci. Mais si tu dis quoi que ce soit, on ira nous plaindre de racisme. T’as compris ? ». Quand Dan m’a expliqué cela j’étais horrifiée. Horrifiée sur plusieurs choses : les risques qu’a pris Dan pour venir en aide à ce monsieur belge; j’ai compris le jeu pervers de ces maghrébins et j’ai pensé, à l’époque, que s’ils jouaient sur le fait de se plaindre pour racisme tous ceux qui s’opposent à eux, ils prennent la position de « victime » et gagnent sur tous les champs !?! Nous étions début des années 1990 et je ressentais déjà cette inquiétude sans savoir où nous en serions en 2019.
    Une autre réflexion : ici, en Europe, en Belgique, nous avons l’esprit ouvert, le cœur ouvert, nous sommes des laïques et nos ancêtres (proches) se sont battus pour défendre les Droits de l’Homme, la laïcité, la Démocratie. Un héritage dont je suis fière de continuer à en défendre les valeurs. Sur base de ces valeurs, importantes pour nous tous, nous avons accueilli un multiculturalisme sur nos terres. Je trouve cela merveilleux car, la différence apporte une véritable richesse de partage. Je suis même POUR surtout dans la philosophie de « Vivre Ensemble » avec nos différences (que l’on soit chrétien, laïque, agnostique, athée, bouddhiste, Jéhovah, judaiste, protestant, musulman, anglican, végan, homosexuel, hétérosexuel, transgenre, végétarien, … ou tout autre terme, peu importe ….). Alors, pourquoi, avec tant de multiculturalité, de tolérance à la différence, ce sont les « islamistes » (pour ne plus parler des musulmans car, eux aussi, souffrent de ce fanatisme qui les a pris en otage), qui demandent à changer nos codes, imposer leur culture dans une autre culture, imposer leur culte dans notre politique citoyenne ? Pourquoi ce sont eux qui imposent le halal dans les cantines, le voile aux femmes en Europe alors que chez eux, elles se battent pour l’enlever ? Je me souviens avoir partager un repas avec une femme Syrienne. Une belle femme intelligente. Elle était professeur d’anglais et espagnol en Syrie. Elle ne portait pas le voile. Son mari, ses enfants (en bas-âge) et elle étaient arrivé dans le flux d’immigration. Elle m’explique qu’elle ne porte pas le voile parce qu’elle a le choix de ne pas le porter. Les femmes qui le portent ici, en Belgique, sont issues de familles précarisées (analphabète et inculte) où l’homme inculte leur impose de le porter. Elles n’ont pas le choix. Sinon, elles se font battre. C’est le cas également, ici, à Liège, en Belgique (nous étions à Liège). La maghrébine qui était traductrice, me confirmait qu’effectivement, beaucoup de femmes marocaines qui portent le voile ici, sont sous l’emprise de leur mari, de la famille qui ne sont pas éduqué en général. Cela va être très difficile pour nous d’aider ces femmes de sortir de cette emprise. On n’a pas conscience de ce qui se passe réellement. Je profite d’avoir l’opportunité de savoir écrire pour relater ces quelques expériences et échanges. Nous sommes face à un phénomène pour lequel, nous devons « ouvrir » grands nos yeux aujourd’hui et y faire face avec intelligence. Les LOIS sont importantes. Ces Lois doivent être placées pour un « mieux vivre ensemble » dans la tolérance des différences. Nous ne pouvons nous laisser envahir par une culture qui veut s’immiscer dans la politique tel un cheval de Troie pour nous imposer sa seule vision des choses. Nous devons défendre les valeurs de chacun, de chaque culture, de chaque culte…mais nous devons travailler dans le sens que chacun doit garder sa place. Je le redis encore une fois, tout ce qui est religieux ou culte philosophique doit rester dans la sphère du PRIVE et n’a pas sa place en politique. Toute personne qui entre en politique, doit respecter les codes, la culture, les valeurs fondamentales des Droits Humains, dans le pays dans lequel il se trouve. Nous devons penser à l’intérêt du citoyen mais pas à l’intérêt d’une religion, d’un culte comme ce que tente de faire le communautarisme. Je suis en colère contre les partis qui ont laissé entrer ce communautarisme dans le but d’avoir des électeurs pour exister. C’est totalement antidémocratique et surtout, c’est une façon perverse de tricher. En fait, nous tolérons, chez nous, que des personnes agissent avec intolérance, racisme, perversité à notre égard en nous imposant le halal dans les cantines, le port du voile dans les institutions publiques (administrations, écoles), choix des congés scolaires, l’abattage rituel des moutons, … ce sont EUX qui sont intolérants vis-à-vis de notre tolérance et ont profité pour s’imposer ! Ce n’est pas à NOUS (les autochtones et les autres, bouddhistes, protestants, evangélistes, témoins de jéhovah, judaistes, anglicants, homosexuels, hétérosexuels, végan, etc….) à nous adapter à EUX ! L’intégration ne se fait pas dans ce sens. Ils ne sont pas seuls sur terre et leur philosophie n’est pas la seule qui existe en ce monde. La LAÏCITE permet à chacun d’avoir sa place dans la sphère publique tant que chacun respecte les choix philosophiques dans la sphère privée des personnes qui habitent dans les pays démocratiques.
    Encore une fois, je dis « NON » au halal dans les écoles (celui qui veut un repas spécial pour son enfant, le prépare chez lui. Personne n’empêchera l’enfant de manger ce que son parent lui a préparé) ; le voile et le culte, dans la sphère privée et chacun dans son temple ou son église ou sa mosquée. Pas de voile ou autres objets ostentatatoires en politique (Parlement, Sénat, ….) ni dans les lieux publiques (institutions, administration, école et universités), cessez ne nous harceler avec vos calendriers festives (ramadan, abattage rituel), cela leur appartient, que ça reste discret et dans leur sphère privée, personne ne leur a jamais interdit de respecter leurs traditions en Europe. Les bouddhistes, les judaïstes, les protestants, les….. ont chacun leurs fêtes, rites et n’emmerdent personnes avec ça…. Nous sommes à la veille des élections. Nous perdons une énergie folle à parler de ces envahisseurs au lieu de mettre notre énergie là où elle devrait être : nous inquiéter de notre avenir, du chômage, du travail, du bien-être de chaque citoyen. On n’a plus le temps de parler des différents programmes. Il est temps d’ouvrir les yeux et d’accepter nos erreurs d’avoir permis, pendant 30 ans, de s’installer des personnes intolérantes qui n’ont pas leur place dans notre Démocratie parce qu’elles refusent l’intégration tout en profitant du système et en mettant notre système en péril.
    Voilà, j’avais besoin de faire mon coup de gueule. Je n’ai pas envie, dans 30 ans, que mes petites filles, arrières-petites-filles portent in fine, le voile et ne connaissent plus nos valeurs fondamentales qui sont : la liberté de penser, le respect de soi et des autres, la possibilité de s’exprimer sans danger, ce qu’est la Démocratie, les Droits de l’Homme, l’Etat de Droit. Je me batterai toujours pour que ces valeurs existent toujours.

  • JACQUE dit :

    Texte argumenté, bien écrit que je vais partager sans retenue car effectivement cette vision de la société est en train de s’installer dans une partie du monde des jeunes adultes qui pensent que ces questions ne sont en définitive pas si importantes. Or ces changements s’installent, lentement mais sûrement dans notre société, particulièrement dans les grandes villes.(Bruxelles, Liège, Anvers, Charleroi, Mons….).
    Le message d’ECOLO aura eu le mérite de lever le voile (si j’ose dire) sur une partie de leurs intentions réelles…

  • DEPASSE dit :

    Tout à fait d’ accord avec votre analyse, votre lucidité me fait plaisir. Notre société ne veut de mal à personne, mais faut pas exagérer. Les avantages des uns ne ceux pas ceux des autres..

  • Jean-Claude Sterckx dit :

    La laïcisation, la plus poussée possible, de notre société est la seule voie qui permette de vivre vraiment libre.
    Une dose d’obligations, de devoirs collectifs est nécessaire à l’épanouissement personnel de chacun.

  • Colette dit :

    Excellente analyse : Ecolo va perdre ainsi tout le crédit qu’on pouvait lui accorder comme seul à mettre à l’avant-plan cette priorité qu’est la défense de notre planète… Ce trac( (et son contenu) est consternant…

  • WARGNIES Marie dit :

    Faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. A la Région de Bxl, je voterai DEFI, car c’est le seul parti qui prône la laïcité. Au Fédéral et à l’Europe, je voterai Ecolo

  • Philippe Guilbert dit :

    Je trouve que toutes ces remarques ne sont pas trés intéressantes . Je continuerai à voter ecolo comme depuis 30 ans même si je ne suis totalement d’accord avec Guenot . Ce n’est jamais qu’une seule personne dans un grand parti . On a beau se dire laïque … et on accepte d’ être en congé le jour de Noël, de Pâques, de l’Ascension, de la Pentecôte, de la Toussaint … c’est laïque, ça ? Pourquoi l’Aïd ? personne ne critique jamais la kippa très fréquente dans ma rue à Paris . car là, ça ferait un scandale monstre . Moi, je suis tolérant et fier de l’être, européen et fier de l’être, wallon et fier de l’être, tolérant et fier de l’ être et Ecolo et fier de l’être ! Ne nous trompons pas dimanche . Les français risquent de le faire . Philippe, le frère

    • Hé frérot ! Je n’ai pas appelé à ne pas voter Ecolo. J’ai appelé à un démenti formel de la direction du parti quant aux affirmations du tract. J’aurais souhaité une réelle communication de crise, qui n’est pas venue, mais les interviews des dirigeants, çà et là, me rassurent quand même quant à la marginalisation des positions de Genot.

      Quant au maintien des jours de congé en lien avec la religion, c’est vrai. Mais quasi plus personne ne prête attention à ce lien. Ces congés sont un acquis social, y compris bien sûr chez les non croyants. La différence avec la position de Genot, qui veut autoriser le choix des congés scolaires en fonction des options philosophiques, est qu’elle ramène la religion dans l’organisation sociale, alors qu’on avait réussi à l’en sortir il y a 50 ans.
      Fondamentalement, aspirer à la laïcisation de la société n’a strictement rien d’intolérant.

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