Albert, Brusseleer flamand de Wallonie

Posté le 30 novembre 2010 dans Divers

Jacky Legge est un ami. Que dis-je un frère. Nous avons fait nos études ensemble, et par la suite, nous avons vécu dans une grande maison avec d’autres amis. Nous n’appelions jamais cela “communauté”, langage d’époque pourtant. Parce que ça faisait trop militant. Si nous vivions à plusieurs, c’était tout simplement par plaisir. Simple plaisir qui confinait au bonheur. C’est grâce à cette vie commune qu’il rencontrera Sylvie, mon amie d’enfance qui deviendra la maman de ses enfants.

Années de jeunesse, d’insouciance. Des hommes qui vivent sous le même toit sont frères, non ? Frères à vie donc. De temps en temps, le père de Jacky nous rendait visite. Le père de mon frère. Nous aimions sa verve, ses excès. Il cherchait à nous convaincre que nous, les jeunes sans expérience, nous devions croire en ses paroles d’aîné. Nous rigolions de ses affirmations, parfois aux limites du politiquement correct. Et alors il rigolait aussi, sourire malicieux et voix de rocaille tirant sur sa cigarette. Et il clôturait le débat par des “Vous verrez, vous verrez !…”

C’était Albert, le père de mon frère Jacky.

Depuis, Jacky est devenu plus Tournaisien que moi. Il est devenu l’Homme qui sourit aux cimetières. Un expert esthète de la symbolique qu’on y trouve. Les visites qu’il propose sont passionnantes. Et n’ont absolument rien de morbide. Au moment où je lance Masaga, il a fait fort : il a organisé une pendaison de crémaillère de sa sépulture. Un artiste lui a créé une magnifique pierre tombale. Et il a invité ses amis à boire un verre là-bas. Pourquoi pas ? Avec Jacky, avec les Fours à Chaux pour lesquels j’ai écrit un livre et maintenant avec Masaga, Tournai se distingue dans la mémoire. La mémoire de la vie.

Celle d’Albert vient de se terminer, quasi un an après le décès de Popol, mon père. 92 années bien remplies de tendresse moqueuse. Je ne pouvais que proposer à Jacky de reprendre ici le beau texte qu’il a rédigé en hommage à son papa.


Ce 22 novembre, avec son beau regard malicieux, Papa part jouer à la galine de l’autre côté du mur.

Papa,
C’est un Brusseleer flamand de Wallonie,
C’est, en sa compagnie, sur le réservoir de la moto, un tour du bloc de maisons, à la cité du Nord,
C’est une chambre retapissée, en juillet, tandis que Gusta, Coco et Kiki sont à Mariakerke,
C’est l’admiration pour les talents manuels de Suske,

Papa,
C’est cent-et-un métiers : boulanger, garde-chasse, mineur, livreur de charbon, peintre-tapissier, chef magasinier, et d’autres, bien d’autres,
C’est une grande plaque de charbon aux fougères, extirpée du fond des âges,

Papa,
C’est le Petit Larousse et les ouvrages d’ornithologie comme livres de chevet,
C’est les « Et surtout, ne rien m’apporter » répétés avec fermeté peu avant les fêtes des pères, les anniversaires ou les 31 décembre,

Papa,
C’est l’oreille collée au transistor pour savourer les commentaires de Luc Varenne lors des matchs d’Anderlecht,

Papa,
C’est le potager avec une belle variété de patates,
C’est les morceaux de viande glissés subrepticement dans l’assiette des enfants,
C’est les truites pêchées dans les étangs du Marouset,

Papa,
C’est des enveloppes cachetées en Suisse, lues en toute discrétion,
C’est les déplacements à Aigle pour tenter de rattraper le temps perdu,

Papa,
C’est Papa Taxi, dès qu’il a disposé d’une voiture dans les années 70,

Papa,
C’est la volière pleine de canaris de toutes les couleurs et, réfugié d’un froid d’hiver, un serin,
C’est Jonas dans son nouvel ensemble jaune et vert, blotti au creux de son épaule lors d’un mariage dans la cité des Cinq Clochers,

Papa,
C’est des avis politiques carrés, peu argumentés… toujours assénés avec conviction,
C’est, nom de Dieu !, des propos d’un bouffe-curé(s), mais pétris de tolérance pour la foi de chacun,
C’est les blagues racontées deux fois de suite pour être certain d’en avoir savouré toutes les nuances…,

Papa,
C’est la douce tendresse envers l’aussi douce Mimie,
C’est Robin déposant prudemment un oiseau pour le chat sur la balance pour connaitre la perte de poids,
C’est les continuels « Ik ben bijna ongeklud ! »,

Finalement, Papa, les dernières années,
C’est surtout les championnats de galine avec les listes des scores classées soigneusement que Bert détaille avec chacun, sans oublier les coupes d’or en plastique 9 carats et les reportages de la Nouvelle Gazette,

Papa,
C’est la trop longue attente pour passer sur l’autre rive,
C’est le regard qui pétille encore et toujours à la vue des petits-enfants, une étincelle au milieu des souffrances,
C’est les éclats de rire émaillant les anecdotes d’une enfance peu sage qui refluent en élans de vie entre deux plaintes,

Papa,
C’est tout ça et encore plus.

Au revoir, Bert !
Au revoir, Papa…
Vise bien le bouchon, Suzanne et Géraldine t’encouragent ; selon Robert et Camille, tu es et tu restes le champion de la galine.

Jacky Legge,
22 novembre 2010

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