Station de métro de la Gare du Midi. En haut des quelques marches que je dois gravir pour rejoindre mon quai, un homme est couché. De tout son long et en plein passage. L’image est surprenante. D’autant plus que plusieurs personnes sont debout à ses côtés, en l’ignorant totalement. Est-il mort, malade, blessé ? Face à l’indifférence des autres, je me dis ça y est c’est pour ma pomme. Si jamais c’est un simulacre de quelque chose, avec une caméra cachée qui va se lamenter sur l’inhumanité de la société, et qu’on me voit à l’écran, non mais imaginez ça… Une vidéo qui circule sur Facebook, Hé, Guilbert on t’a vu ! Ah t’avais l’air malin face aux caméras de la Stib !… Mais je n’ai pas envie de le toucher, moi. Il a l’air sale. Et en effet, en m’approchant, je constate que la jambe droite de son pantalon est toute mouillée. Il a pissé ! J’arrive à hauteur de son visage, regrettant de n’avoir pas d’hygiaphone avec moi. Je tente de repérer un signe de quelque chose. Rien. Le “Ca va Monsieur” que je lui adresse ne réveillerait pas un mort. Il est chuchoté. Faut dire qu’en regardant les autres, je me rends compte que tout le monde évite le regard de tout le monde. L’homme ne répond pas. Dort-il ?…
Et puis, péniblement, sa tête se lève légèrement. L’oeil vitreux ne regarde rien. Ni personne. Son bras s’active, mécanique grippée et hésitante. Sa main saisit une bouteille que je n’avais pas vue. Du Martini Bianco. Bouteille à moitié vide qu’il continue à vider. Le mec n’est pas mort, ni blessé, ni malade. Il est bourré et s’est pissé dessus sur le quai de métro de la gare du Midi, porte d’entrée de l’Europe. Point de caméra cachée ni de téléréalité. C’est la réalité tout court.