Allez savoir pourquoi, le 6 mars 1987, j’ai décidé que je serais, un jour, écrivain. J’avais donné ma démission à un boulot qui me passionnait depuis sept ans et, terminant ma période de préavis, je m’emmerdais pour la première fois dans ma carrière professionnelle encore pleine d’avenir et d’incertitudes. Je me mis à griffonner le synopsis de mon premier roman. J’avais imaginé une histoire qui s’étalerait sur des milliers d’années et qui mettrait en évidence une de mes convictions profondes, à savoir que je ne crois pas du tout au destin, mais bien à une seule chose : le hasard.
Mon idée était de relater – à la machine à écrire, vous imaginez… – une succession d’histoires d’amour qui ne reposeraient que sur des concours de circonstances. Donc pas l’amour fort et amoureux mais plutôt, désolé pour le terme, des histoires de coucheries, voire de viols. A la fin de cette litanie de relations sexuelles purement aléatoires, je voulais raconter la compétition entre des milliards de spermatozoïdes, dont un seul, forcément, gagnerait. Fruit de cette fécondation tout autant hasardeuse, j’arriverais. Les derniers mots de mon roman, je les connaissais. Ce serait : « Et moi, le descendant de Ngu, je suis né. »
Je n’ai jamais écrit ce roman et ne l’écrirai jamais. J’en ai toutefois rédigé le premier chapitre, celui de mon ancêtre Ngu : un être frustre, idiot, brut et brutal. Sale et pour tout dire répugnant, pouilleux. Un homme des cavernes en réalité. Un jour, Ngu s’engueula avec ses potes. Pour des conneries. Il s’éloigna d’eux, bougonnant, fâché. Au coin d’une clairière, une femme était penchée pour ramasser du petit bois et des brindilles. La connaissait-il ? L’histoire ne le dit pas. Toujours est-il qu’il s’approcha d’elle et la prit, ni une ni deux, par derrière. Quelques secondes et ce fut fait. La femme fut fécondée. Il n’y avait pas de lois à l’époque et la femme, mon aïeule donc, se contenta de hausser les épaules, que d’autre voulez-vous qu’elle fasse ?
J’ai perdu ce chapitre depuis belle lurette et, franchement, ça n’est pas une grande perte.
Fin de cette année-là, je quittai Tournai pour un nouveau boulot à Bruxelles. Mon premier boulot, dois-je le préciser, qui me dotait d’un ordinateur. Et aussi de quelque-chose dont à l’époque j’ignorais totalement l’existence : un login, ce nom qui me permettait de me connecter au serveur du bureau. Suivant les règles de celui-ci, le login était composé de trois lettres : la première du prénom et les deux premières du nom. Une bête règle en réalité, dans la mesure où ça donnait systématiquement des trucs imprononçables. Ça aurait été mieux de prendre les deux premières du prénom et la première du nom. Moi ça aurait été PIG, comique non ? Au lieu de quoi ce fut un PGU disgracieux qui pourtant m’aura suivi jusqu’à maintenant. Non pas seulement pour me connecter mais aussi pour, par exemple, des rapports de réunion. PGU est mandaté pour blablabla, PGU a dit que bloubloublou. Ainsi, le 1er décembre 1987, neuf mois après avoir décidé qu’un jour je serai écrivain, j’étais devenu, définitivement, PGU.
Sept ans plus tard, ma femme était enceinte de notre deuxième enfant. Un garçon. Pendant près de neuf mois, nous nous sommes amusés au jeu des prénoms : je proposais, elle refusait. Plusieurs centaines au bas mot. Elle n’aimait jamais. Elle voulait absolument un prénom court, style Ian, ce qui, pour moi, faisait trop flamand. La veille de l’accouchement, je lui demandai, sans trop y croire : « Et Niels, tu aimes bien ?… » Et, contre toute attente, elle me répondit, enjouée « Oh oui ! ».
Ça s’était passé si vite que je ne pris pas cela pour argent comptant. Le lendemain, notre petit clown ne mit pas trop de temps pour sourire à la vie. L’ayant vagissant dans mes bras émus, je me devais quand même de vérifier avec sa maman : « Tu es bien d’accord pour qu’on l’appelle Niels ? » Elle me répondit que oui. Et c’est donc ainsi que, moi, descendant de Ngu qui ne croit absolument pas au destin, je donnais vie à NGU, mon premier descendant mâle.