J’ai lu « Un président ne devrait pas dire ça ». Je l’ai lu, avec l’espoir de m’amuser, de me délecter des anecdotes sur Hollande, et de ses gaffes et maladresses ainsi que de ses propos critiques sur les uns et les autres.
Mais en fait je n’ai rien trouvé de tout ça. Et ma vision de Hollande a radicalement changé. Oui, oui, je suis presque devenu hollandais.
Oh bien sûr, je continue à croire que son quinquennat est raté, et que sa présidence a fameusement été entachée de bévues, d’erreurs et de manques d’à-propos. De situations ridicules aussi. Trop. Mais je crois que Hollande est un incompris notoire. Et je vais essayer ici d’expliquer en quoi.
Président normal
C’était sa promesse et il a tenté de la tenir. Oui, il aura voulu être ce président normal, aux antipodes de ce que furent Giscard, Mitterrand et Sarkozy. Mais les Français ne voulaient sans doute pas d’un président normal. Les Français ont beau être républicains, cela ne les empêche pas d’avoir le chef d’exécutif le plus royal. Un chef qui règne dans un palais ne peut pas être un président normal.
Une confiance parfois aveugle
François Hollande fait confiance. Envers et contre tout.
Cahuzac ? Il ne l’aimait pas trop. Mais il l’a nommé. Lorsque les médias, Mediapart en tête, lancent des suspicions à son égard, en lien avec sa détention d’un compte en Suisse, il le convoque. Les yeux dans les yeux, il lui demande ce qu’il en est. Et les yeux dans les yeux, Cahuzac l’assure qu’il n’en est rien.
Que peut faire Hollande ? Il en parle au patron de Mediapart, qui ne peut lui donner d’autres éléments. Il demande une enquête officielle au gouvernement suisse, qui ne trouve rien. Et donc, lorsque, suite à de nouvelles révélations dans les médias, Cahuzac est bien obligé d’avouer, le président normal ne peut, lui, que s’avouer trahi.
Lorsque Taubira démissionne, Hollande sait que ça n’est pas bon pour lui. Mais il ne la charge pas du tout. Respect pour services rendus et pour sa cohérence avec ses valeurs.
Confiance jusqu’à la cécité… Macron est un parfait produit de Hollande. Et il l’a roulé complètement dans la farine. Jusqu’au bout des derniers entretiens avec les auteurs du livre, Hollande a nié l’évidence, à savoir que Macron ne se présenterait pas. Il a eu plusieurs fois confiance. En ayant tort. Mais s’il devait le refaire, il le referait.
Un démocrate
François Hollande croit et veut croire en la présomption d’innocence. Même si ça l’aura amené à laisser Cahuzac le trahir. Il est président, pas juge. Il ne cherche pas à influencer les magistrats. Fillon a tout fait pour que l’Elysée accélère le traitement des affaires qui collent aux basques de Sarkozy. Que Sarkozy soit discrédité définitivement, allez, franchement, ça l’aurait arrangé, Hollande. Mais s’il faut, pour cela, chercher à peser sur la magistrature, c’est-à-dire d’une manière non constitutionnelle, ben non, pas lui. Hollande, président normal, n’a pas d’affaires derrière lui. Contrairement à son prédécesseur, qui les collectionne. Il est démocrate ; il l’est resté.
Un idéal
Sa carrière ? Bien sûr elle compte. Près de 40 ans en politique, ça ne se construit pas par hasard. Donc oui, Hollande a tout fait pour, pas à pas, arriver là où il est. Mais ensuite ?
Vous savez, lui demandent les auteurs, que jamais un président en exercice n’a été réélu hors cohabitation ? Mitterrand, réélu en 88, avait un premier ministre de droite ; et Chirac en 2002 un premier de gauche. Giscard et Sarkozy, qui se sont représentés à la tête de leur majorité ? Battus. Alors, pourquoi n’a-t-il pas dissous l’Assemblée nationale en 2014. Il aurait pu. Tout le monde l’aurait compris, tellement le soutien populaire avait disparu. La droite aurait gagné les élections, et serait devenue impopulaire, tandis que lui serait apparu comme le père de la nation, comme le fut Mitterrand à l’époque où on commença à l’appeler Tonton. Et il aurait été certainement réélu en 2017.
La réponse de Hollande ? Oui, ça aurait été bien pour moi. Mais pas pour la France…
La France avant lui
Oui c’est cela qu’il met en avant : la France et une France dirigée par la gauche.
Son avenir à lui ? Ben oui, il a quand même pris goût à cette vie de contacts et de pouvoir, et ça lui aurait bien plu de continuer. Mais sa candidature dépendait de cette équation :
- Etait-il possible qu’il gagne ? Le critère déterminant était qu’il y ait eu une reprise d’espoir. Ce qu’il avait appelé depuis le début l’inversion de la courbe du chômage et à laquelle il croyait encore lors du bouclage du livre.
- Si cela paraissait possible, malgré les sondages catastrophiques qui ne l’ennuyaient pas trop, il lui restait à jauger s’il était « l’homme de la gauche ». La gauche « de gouvernement » s’entend, pas celle de Mélenchon. S’il s’avérait qu’un autre que lui avait pas mal de chances en plus, alors, dit-il, il était évident qu’il le laisserait y aller.
Pouvait-on le croire ? Hollande est honnête, sincère. Un président normal dans un pays qui préfère détester ses présidents. (Cette dernière précision est de moi.)
Le monde lui sera-t-il redevable ?
Là où il n’aura pas réussi à se forger une image positive à l’intérieur de ses frontières, il ne sera pas resté pâle hors de celles-ci. Le Mali, l’Ukraine, des pays qui peuvent l’honorer. La lutte contre Daesh, contre Poutine parfois, et sans le soutien d’Obama, il y aura été plus qu’à son tour, nettement plus. Le succès de la Cop21, qui s’insère dans une litanie de rencontres internationales décevantes face à un problème qui va faire exploser la planète.
Flambi, Hollande aura été moqué en capitaine de pédalo en France, mais apprécié comme un patron décidé là où il est intervenu à l’étranger. Patron de guerre ou de négociations. Face à Poutine et, avec le temps, souvent complice de Merkel.
Et ses émotions ?
Il ne les transmet guère. Parce qu’il maintient une frontière entre vie privée et vie publique. Il n’a que très peu évoqué ses affaires de femmes dans le livre. Vie privée ! Même si elle fut, contre son gré, étalée sur les unes de magazines. Mais aussi parce qu’il a découvert le poids de la fonction. Il évoque avec beaucoup de pudeur les morts, desquelles il ne sent pas irresponsable. Le premier soldat mort au Mali vivrait encore si Hollande n’avait pas décidé de s’y impliquer. La mort d’un otage et de plusieurs militaires lors d’une tentative ratée de libération en Somalie. Et puis tous ces morts lors des attentats. L’horreur. Les drames.
Oui, les larmes lui sont montées aux yeux, vite refoulées toutefois. Handicap émotionnel ? Non, je crois, vraiment, que c’est en lien avec l’idée qu’il se fait de la fonction. Un président normal reste un président responsable. Qui doit assumer. Qui est observé. Qui doit rester fort.
Sous la pluie comme face aux drames.
Et alors, Guilbert, te voilà tout d’un coup sous le charme de quelqu’un que tu aimais critiquer ?
Sous le charme, c’est peut-être excessif. Mais oui j’ai découvert, en lisant ce bouquin qui est loin d’être passionnant, un homme qui se veut droit, cohérent et honnête. Un gars avec qui je suis d’accord sur plein de choses. Et notamment sur sa vision de la démocratie et des rapports entre les gens. Sur des valeurs morales aussi. Un homme pour qui, sans doute, j’aurais voté si j’en avais eu le droit et s’il s’était représenté. Même si, définitivement, je pense qu’il aurait été meilleur président en Scandinavie plutôt qu’en France.
Sa décision de ne pas se représenter découle de toutes ces qualités que le livre m’a fait découvrir. Une décision normale qui, au-delà d’un quinquennat raté, me fera regretter son rendez-vous tout autant raté avec l’histoire. Parce qu’il n’est pas dit qu’un jour encore la politique permettra à un très honnête homme d’accéder à de telles responsabilités.
On l’a moqué en disant que sa décision de ne pas se représenter était sa seule bonne décision. C’est dur. Mais la vie politique est ainsi. Et définitivement je préférerai un honnête incompris qu’un pourri séducteur.
un commentaire pour Hollande, l’incompris
Bien d’accord avec ton analyse. Je n’ai pas lu le livre, mais je n’ai jamais donné le “Hollande bashing”. Bien sûr, il s’est montré trop souvent trop indécis, trop mou, reculant trop vite devant les manifestations ou les craintes de manifestation (pourquoi, par exemple, avoir abandonné, sans jamais en faire un vrai projet, sa promesse de droit de vote des étrangers aux municipales?). Que veulent les Français? Un président qui soit un monarque mais qui soit comme eux; qui applique à la lettre toutes ses promesses, mais qui négocie et renonce s’il a “la rue” contre lui; qui ait une vie privée irréprochable, mais dont on connaisse les coulisses et leurs détails croustillants; qui prenne des décisions rapidement, mais qui n’agisse pas dans la précipitation; qui impusle le changement, mais qui ne les oblige pas à changer. Hollande n’a pas mérité le jugement qui lui a été adressé par une bonne partie de la presse et, sans doute plus encore, par ce grand tribunal sans règles qu’est devenu Internet, cet immense espace de “flingage”. Aujourd’hui, tout le monde est politologue. Mais trop d’analyses sont aboyées.
Tout le monde, ou presque, s’était accordé à juger que le quinquennat de Hollande est une catastrophe. Oubliant totalement que celui de Sarkozy, qui a eu beau faire beaucoup de bruit et courir partout, fut bien pire.
L’heure est maintenant, un peu partout, aux démagogues, aux brutes qui prônent des solutions simplistes et violentes. Mais on nous explique tout de suite que c’est normal, que “les élites”ont perdu le contact avec le peuple, qu’il faut comprendre celui-ci, perturbé par la mondialisation. Comme le peuple autrichien, qui connaît le taux de chômage le plus bas de l’Union européenne et qui est peut-être en train de se choisir en ce moment-même un président d’extrême droite?