L’humour peut-il être de gauche ?

Posté le 9 février 2009 dans Divers

Imaginez que vous ayez à subir une transplantation cardiaque… Le cardiologue vous donne le choix entre trois coeurs : celui d’un champion sportif ; celui de l’Abbé Pierre ; ou celui d’un banquier de 60 ans. Lequel choisissez-vous ?
Beaucoup répondront le champion, et les autres celui de l’Abbé Pierre, non ? Et pourtant c’est le troisième qui est le bon. Parce que n’ayant jamais servi, il est comme neuf.
Bon, OK, vous ne vous esclaffez pas en vous roulant par terre et en vous tenant les côtes, mais j’ai sans doute pu obtenir une esquisse de sourire, non ?
C’est une blague de gauche, qui amuse tout le monde, y compris les banquiers. Je l’ai déjà testée avec certains d’entre eux.

Alors, lorsque Rudy Aernoudt sort sa blague de droite – Les allocations de chômage en Wallonie ont augmenté. C’est qu’on est content de nous, se félicite un chômeur… -, pourquoi donc faut-il qu’il y ait une nuée de Pères la Pudeur de gauche, partis politiques en tête, qui s’offusquent de ce mot d’esprit. Allez, c’est bien trouvé quand même ! Au même titre que les banquiers qui n’ont jamais utilisé leur coeur, et dont on sait pertinemment bien que ça n’est pas vrai. En tout cas pas au point de généraliser.

Ah ce qu’ils m’énervent, ces censeurs nouvelle génération. Ces moralisateurs qui ont grandi avec Charlie Hebdo et qui maintenant se drapent à tout bout de champ dans une rigueur de dame patronnesse. Mais merde, la Belgique, c’est ça : l’humour au service du discours. Notre auto-dérision est une marque de fabrique reconnue dans tout le monde francophone. Ne l’assassinons pas au nom du manichéisme ! Rigolons !

3 commentaires pour L’humour peut-il être de gauche ?

  • Freddy L. dit :

    Intéressants, ces deux exemples. Il me semble tout de même que, si les mots "gauche" et "droite" sont de simples antonymes en linguistique, susceptibles du même sort grammatical et donc possiblement humoristique, ils couvrent des réalités terriblement hétérogènes. Vivre à droite, c’est cherche à gagner, à améliorer un confort et une liberté qu’on a déjà ; vivre à gauche, c’est aller au secours du perdant, jusqu’à devenir soi-même le perdant. – Oui, je connais comme toi des chômeurs qui abusent ; des banquiers aussi, d’ailleurs. Et je ne me formalise pas d’un humour tous azimuts. Disons que je me réjouis que la norme sociale ne soit pas encore de se moquer des pauvres, même quand ils le méritent. – Cordialement à toi, je te lis régulièrement.

  • Pierre dit :

    Le mot pauvre, mon cher Freddy, me fait penser immanquablement à Michel Tournier et "Les Météores". On y retrouve un morceau d’anthologie, déclamé par l’Oncle Alexandre (si j’ai bonne mémoire), ce dandy qui règne sur les décharges d’immondices. C’est assez violent, plutôt politiquement incorrect, mais sociologiquement interpellant. Ce livre date de 1975.

    Je n’ai pas retrouvé le bouquin, mais bien une évocation de cette approche sur un site Web. J’ai fait un copié collé, qui n’est peut-être pas totalement fidèle à la thèse d’Alexandre, mais voici ce que ça donne :

    Psychosociologie du pauvre

    1. le pauvre mange deux à trois fois plus que le riche.
    J’ai d’abord cru qu’il s’agissait de compenser une dépense énergétique plus grande dans les métiers manuels et les travaux de force. Il n’en est rien pourtant, car ce régime se traduit par un obésité généralisée [..]. La vérité c’est que le pauvre – alors qu’il ne souffre d’aucune restriction – ne s’est pas libéré de la peur viscérale de manquer que des siècles de famine ont inculquée à l’humanité. Conjointement il est demeuré fidèle à une esthétique de la pénurie qui fait paraître belles et désirables les grosses femmes, virils et majestueux les hommes ventrus.

    2. Le pauvre s’habille plus et plus chaudement que le riche. Le froid est après la faim le fléau le plus redouté des hommes. Le pauvre reste soumis à la peur atavique du froid et voit en lui l’origine de nombre de maladies. Manger peu et se mettre nu sont des privilèges de riches.

    3. Le pauvre est un sédentaire-né. Ses origines paysannes lui font voir le voyage sous l’aspect d’un déracinement, d’une errance, d’un exil. Il ne sait pas voyager à la légère. Il faut qu’il s’entoure de préparatifs et de précautions, s’encombre de bagages inutiles. Avec lui le moindre déplacement prend des airs de déménagement.

    4. Le pauvre est sans cesse pendu à la sonnette du médecin. Troisième terreur non maîtrisée chez lui: la maladie. [..] Le pauvre se demande parfois comment fait le riche pour n’être jamais malade. La réponse est simple : c’est qu’il n’y pense pas.

    5. Parce que son travail l’exténue et le dégoûte, le pauvre caresse deux rêves qui n’en sont qu’un : les vacances et la retraite. Il faut appartenir à la caste des seigneurs pour ignorer ces deux mirages.

    6. Le pauvre a soif d’honorabilité. Il n’est pas absolument sûr d’appartenir à la société humaine. Et s’il n’était qu’une bête ? De là son besoin de s’endimancher, d’avoir un chapeau, de tenir sa place – aussi modeste soit-elle – dans le corps social. De là aussi sa pudigondrie […]

    7. Le pauvre acceptant le corps social tel quel, et entendant s’y faire une place grandissante, est politiquement un invétéré conservateur. Il ne voit pas plus loin que la petite bourgeoisie à laquelle il espère bien accèder au plus tôt. Il en résulte qu’une révolution n’a jamais été faite par le peuple. Les seuls ferments révolutionnaires d’une société se trouvent dans la jeunesse estudiantine, c’est-à-dire parmi les enfants de l’aristocratie et de la grande bourgeoisir. L’histoire offre régulièrement l’exemple de secousses sociales brutales provoquées par la jeunesse de la classe la plus favorisée. Mais la révolution ainsi amorcée est récupéréé par les masses populaires qui en profitent pour obtenir des améliorations de salaire, une diminution du temps de travail, une retraite plus précoce, c’est-à-dire pour faire un pas de plus en direction de la petite bourgeoisie. Elles renforcent et aggravent le système social et économique un moment ébranlé, et lui apportent leur soutien en s’y incorporant plus intimement. grâce à elles les gouvernement révolutionnaires cèdent la place à des gardiens tyranniques de l’ordre établi. Bonaparte succède à Mirabeau, Staline à Lénine.

  • J.J.J. dit :

    Moi, je trouve la blague de Rudy plutôt drôle. Mais Reynders n’aime pas. Voir La Libre de ce dimanche. Quant au texte attribué à l"’oncle Alexandre", je le soupçonne de refléter non pas l’humour ou l’ironie de Michel Tournier, mais bien la profonde conviction réelle de ce dernier, qui est au sens étymologique un réactionnaire né, doublé d’un élitiste.

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