De l’art d’engueuler ses clients

Posté le 3 juillet 2009 dans Divers

Etudiant, je fus un adepte d’un café-théâtre à Tournai. La Mauvaise Herbe. A sa tête, Baudouin, fou dingue qui se faisait un malin plaisir d’égratigner en permanence ses clients. Florilège des ses exploits :

  • Je suis avec lui au bar, pour lui donner un coup de main. Il vient d’ouvrir. Une cliente entre, demande une bière et s’installe sur un tabouret devant nous, prête à faire la conversation. A l’évidence, Baudouin, lui, n’en a strictement pas envie. Il lui dit du coup qu’il y a de la place dans le fond. Normal, le bistrot est totalement désert. La cliente s’exécute. Vexée ? Je ne sais pas. En tout cas, je l’ai revue très souvent. Au fond du bistrot.
  • Baudouin aimait jouer aux cartes. Installé à une table, il régnait dans son bistrot. Mais si un client lui demandait poliment Euh… Baudouin, tu peux servir une Chimay bleue et une Leffe ?, il rétorquait “Non mais ça va pas ? Tu ne vois pas que je travaille ?!…” Alors le client attendait la fin de la partie.
  • Un jour, un client boit une Duvel. Mais le verre se casse. Dans sa bouche. Heureusement, il n’est pas blessé. Mais il est choqué. Et signale, mal à l’aise, l’incident à Baudouin. “Euh… Baudouin…” fait-il en montrant le morceau de verre qu’il tient encore entre les dents. N’importe quel patron de bistrot se confondrait en excuses. Baudouin non. “Non mais, t’as fini de mordre dans mes verres ?!…”
  • La coutume à La Mauvaise Herbe était de payer en sortant. Baudouin avait inscrit les consommations sur une feuille. Mais il ne connaissait pas le nom de tous ses clients. Alors il inscrivait des signes distinctifs. “Gros pif”, “Pue de la gueule”, “Cheveux gras”. Signes distinctifs que les clients découvraient inévitablement en payant.

Tel était Baudouin. Mais tout le monde l’adorait. Et tout le monde revenait “chez Baudouin”. Parce que derrière sa rudesse, il était adorable. Il y avait une magie unique de La Mauvaise Herbe. Que plusieurs générations regrettent aujourd’hui à Tournai.
Pour ceux que ça intéresse, Baudouin “sévit” actuellement dans le seul bistrot du village de Celles, à quelques encablures de Tournai. Il est roi en son domaine. Il faut l’accepter. Et alors on passe des soirées géniales. Uniques.

N’est pas Baudouin qui veut.
Hier soir à Louvain-La-Neuve. La météo est provençale. Les terrasses sont bondées. On trouve une table à une crêperie bretonne. Belle terrasse et belle carte. Les conversations s’adaptent au farniente. Jusqu’au moment où une voix se fait plus forte. C’est le patron. Qui joue extrêmement mal son Baudouin. Il est en train d’engueuler une cliente. Une femme tendance septuagénaire, qui vient d’acheter une glace en cornet et qui, quittant le resto, est tombée sur des amis attablés sur la terrasse. Quoi de plus normal, elle s’assied à leur table pour faire un brin de causette. Mais la dame avait payé sa glace au tarif “à emporter”, et non à celui “à manger sur la belle terrasse”. Elle doit donc partir ou payer un supplément, lui hurle le patron. Son seul argument est que “c’est écrit à l’intérieur”. Concrètement, je suis persuadé que la bonne dame était bien évidemment prête à s’acquitter de l’euro qu’il lui aurait réclamé. Mais elle est habituée du lieu. Et trouve cette attitude choquante. Comme tout le monde autour d’ailleurs. La septuagénaire reste debout, ostensiblement, à côté de ses amis attablés. Mais la technique de la chaise vide ne semble pas émouvoir le sbire, qui continue de plus belle à l’invectiver. Le con. Je commence à la trouver mauvaise. Et le dis au patron. Je ne suis pas venu manger à une terrasse pour entendre un patron de resto engueuler ses clients. Du coup, c’est sur moi qu’il commence à gueuler. C’est écrit noir sur blanc et patati et patata. Le con. L’amie qui est avec moi propose de faire passer un chapeau pour collecter de quoi payer la chaise de la bonne dame. Et plein de clients se disent que plus jamais ils ne mettront les pieds dans un endroit pareil.

Si d’aventure, vous êtes en manque de terrasse par un temps provençal à Louvain-La-Neuve, cherchez une crêperie bretonne. Il risque d’y avoir de la place. Mais prenez votrez chaise avec vous, c’est mieux.

Bon, je n’ai pas perdu ma soirée pour autant. J’ai de quoi écrire un billet sur l’orientation client. Le soleil c’est parfois mauvais pour les patrons de terrasse. Faut changer de métier, mon ami. Ou suivre un stage chez Baudouin.

2 commentaires pour De l’art d’engueuler ses clients

  • Jean-Pol dit :

    Salut Pierre,

    Je continue à lire régulièrement ton Blog.
    Je réagis ici pour applaudir. Nous avons souvent disserté sur l’orientation client et même "exercé".
    Et que le chemin est encore long pour certain(e)s.
    Moi aussi basta les établissements où je ne reçois pas un sourire, où l’on ne respecte pas tous les clients de la même façon (différence entre les "bons" clients et les autres).
    Je crois que l’offre étant actuellement (et peut-être de plus en plus) supérieure à la demande, on peut facilement avoir ses listes blanche et noire … et le faire savoir!

    Salut l’Artiste et bon WE!

  • Une cliente qui vous veut du bien dit :

    Sachez, cher monsieur que votre explication sur la pauvre et malheureuse septuagénaire est quelque peu erronée. Figurez-vous que ce soir-là, et puisque la terrasse, comme vous le dites si bien, était bondée, vous n’étiez pas le seul attablé. Si, et je l’admets, le ton du patron n’était pas réellement des plus bas, je trouve que votre réflexion et la remarque que vous avez faite au patron, était relativement déplacer. Je me permets de vous le dire, parce qu’il semblerait que vous fassiez partie de ces justiciers de pacotille qui croient tout ce que disent les journaux, et qu’immanquablement à la vue de vos dires, il vous manque le début de l’histoire, et donc les raisons logiques du l’utilisation du ton de la conversation tenue entre le patron de l’établissement et la septuagénaire que vous décrivez ici comme une dame qui risque d’un instant à l’autre de passer de l’autre côté. Lorsque moi-même j’admirais le fabuleux présentoir de crèmes glacées, la mamie accompagnée de ses petits enfants, se faisait servir par la serveuse, qui ce soir-là, et malgré la foule, à continuer à servir ses clients avec le sourire, mais là n’est pas la question. Comme je le disais, alors que je regardais la vitrine, la jeune fille expliquait visiblement à la dame que si elle souhaitait prendre une glace en cornet, elle n’aurait pas le droit de s’asseoir en terrasse, mais que cependant, si elle désirait manger sa glace sur un cornet attablée en terrasse, elle le pouvait, mais qu’il y aurait alors une différence de prix. La mamie, consciente du prix payé et ayant fait le choix de ne pas payer plus pour pouvoir s’asseoir, ne pouvait que, s’en aller. Lorsqu’elle croisa son amie, elle attablée, et qu’elle prit une chaise, la serveuse en passant lui redit et ce, de manière très correcte, qu’elle devrait alors payer le supplément dont il avait été question au moment du service du cornet de glace. C’est alors, qu’effrontément et sans doute parce que la serveuse n’était qu’une simple gamine à ses yeux, la dame s’installa. Le patron vint à son tour dire à la dame alors assise qu’il lui compterait un supplément pour sa glace, et la dame lui répondit qu’elle ne paierait pas, parce qu’elle n’en avait que pour quelques minutes. Et contrairement à ce que vous dites, monsieur, le patron n’est pas con, parce que combien de temps croyez-vous que manger une glace sur un cornet prend ? Quelques minutes tout au plus… Voilà pourquoi, cher monsieur, le ton de la conversation est monté, et voilà la partie de l’histoire qu’il vous manquait. Alors oui, cette dame n’était pas de toute jeunesse, et oui le patron a refusé qu’elle s’asseye pour une question d’à peine un euro. Mais monsieur, moi-même travaillant en restauration, je vous informe que le travail que nous faisons, nous restaurateur, est un travail fatiguant, où l’on travaille de longues heures durant sans qu’aux sourires que tous attendent, il n’y ait un retour, sans que le salaire ne soit, contrairement à ce que vous avez l’air de penser, à la hauteur des efforts fournis, sans que les clients que nous servons aient un peu d’égard pour nous. Je ne vous apprends, je l’espère, sans doute rien; le travail dans l’HORECA est un travail dur et de labeur. Si lorsque vous vous rendez au travail le matin, c’est dans le but de gagner de l’argent, c’est le cas pour nous aussi les restaurateurs : nous ne faisons pas de bénévolat. Selon vous, la dame aurait dû payer un euro et avoir à la fois sa glace, et le service qui va avec ? Pensez- vous que le personnel que l’on paye, et qui devra après que la dame ait salie la table, remettre la chaise en place, laver la table, débarrasser le cendrier dans lequel auront été déposées les serviettes usagées, laver ce cendrier, ne coute qu’un euro ? Ou plus simplement, pensez-vous que ces jeunes gens qui travaillent pour payer leurs études parce que papa et maman ne savent pas, ne méritent qu’un salaire de misère ? Pensez-vous sincèrement que les frais auxquels doivent faire face les gestionnaires de restaurant se résument aux produits qu’ils achètent à leurs fournisseurs ? Pensez-vous, monsieur que la terrasse sur laquelle vous vous êtes assis n’a rien coûter au patron que vous traitez à plusieurs reprises de con ? Pensez- vous, cher monsieur, que vous-même, à l’âge du patron que vous critiquez, vous seriez capable de travailler et de courir autant ? Si le dramatisme que j’utilise ne vous touche pas, je vais vous donner un ou deux exemples plus concrets : lorsque chez Pizza Hut, vous commander un plat à emporter, vous n’allez pas avec votre carton de pizza, vous asseoir à une table, et vous payez votre pizza nécessairement moins cher. Ou encore, lorsque vous vous rendez chez EXKI, et que gentiment à la caisse on vous demande si vous mangez sur place ou si vous emportez, pour savoir si l’on doit vous faire payer plus cher vos consommations sur place, lorsque vous dites que vous emportez, et que vous payez le prix plus bas, vous ne vous asseyez pas à une table. Monsieur, c’est le principe même du « à emporter, c’est moins cher ». Ce système, cela ne vous en déplaise, s’applique à toutes les personnes, que vous ayez une carte vermeille ou non.

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