Eh bien je ne sais pas si je l’ai déjà racontée, celle-ci. P’tet bin. Mais tant pis, cette histoire en vaut bien deux.
Popol, mon père, adorait faire des blagues. Parfois on le surprenait un petit sourire jubilatoire au coin des yeux et à la commissure des lèvres. Cela voulait dire qu’il créait sa prochaine. Un art, un talent, qu’il poussait à l’extrême.
Un jour, il y a longtemps. Deux de ses amis partaient en pèlerinage à Lourdes. Un couple très gentil, affable même, mais dont on ne pouvait pas dire, vraiment, qu’ils avaient de l’allure. C’était tout le contraire. Aujourd’hui, on dirait « Les Bidochon ». D’ailleurs, appelons-les comme ça pour le reste de l’histoire.
Les Bidochon avaient réservé une pension de famille pour une semaine en plein juillet. Vous voyez, une pension sans étoile et avec des nappes en plastique.
Popol s’était débrouillé pour connaître l’adresse de l’hôtel. Et dès ce moment-là, ses commissures de lèvres trahissaient ce qu’il fomentait. Sa meilleure blague. Popol était imprimeur. A l’époque où le Mac était encore loin d’exister, il fallait être imprimeur pour concevoir l’idée qui commençait à germer dans sa tête. Il imprima plusieurs enveloppes, avec des en-têtes prestigieuses. Ambassade d’Uruguay à Bruxelles, Otan, Ministère de la Défense sociale, Agence nationale des transports, etc. Des trucs sérieux, quoi. Et sur ces enveloppes, il s’appliqua à écrire le nom de leur destinataire, en variant légèrement d’une lettre à l’autre : Monsieur le Ministre Bidochon et Madame ; son Excellence Monsieur Bidochon et Madame ; Monsieur Bidochon, Ministre des anciens combattants, etc.
La tête des gens à la réception ! Jamais ils n’avaient reçu de célébrité dans leur pension de famille ! Au même titre que quasi jamais ils n’avaient eu à empiler du courrier qui arrivait avant son destinataire. Le casier de la chambre 27 était quasi plein lorsque la direction de l’hôtel reçut une lettre de l’organisateur du pèlerinage.
En substance, ce courrier disait ceci :
« Nous vous informons qu’une des principales personnalités du monde politique belge logera dans votre hôtel la troisième semaine de juillet. Son Excellence le Ministre Bidochon et sa charmante épouse ont en effet décidé, par dévotion mariale et pour exercer leur foi dans les meilleures conditions, d’éviter les palaces auxquels ils sont habitués. Afin de respecter leur souhait, nous vous demandons de bien vouloir faire preuve d’une discrétion absolue en n’évoquant jamais devant eux le statut particulier de vos honorables clients, qui veulent effectuer leur pèlerinage dans l’anonymat le plus complet, ainsi que dans une forme pieuse d’humilité. Aussi, si d’aventure, du courrier vous arrivait à l’attention de Monsieur le Ministre, en accord avec ce dernier, nous vous demandons de nous le renvoyer. Nous nous chargerons de le faire suivre auprès de son secrétariat.
Il nous est toutefois nécessaire de préciser que si Monsieur le MInistre est tout à fait à même de mettre de côté ses responsabiltés politiques le temps d’un pèlerinage, il lui est impossible de se départir de son profond attachement à la patrie. Or, le 21 juillet, jour de notre Fête nationale, tombe en fin de séjour de Monsieur le mInistre et Madame. Pourrions-nous dès lors abuser de votre bonté en vous priant de bien vouloir faire un petit quelque chose ce jour-là, discrètement, qui permette d’altérer un tant soit peu la nostalgie du pays qui envahira Monsieur et Madame Bidochon. »
Les Bidochon passèrent un séjour extraordinaire. Jamais de leur vie ils n’avaient fait l’objet de tant de sollicitude de la part du personnel d’une pension de famille. Monsieur Bidochon par-ci Madame Bidochon par-là. Et le 21 juillet, au repas de midi, alors que la Brabançonne tournait en boucle et qu’un drapeau belge ornait sa table, Monsieur Bidochon adressa un sourire à sa femme. « Je ne sais pas si tu penses la même chose, mais à mon avis il y a du Pol Guilbert là derrière… »
C’était cela Popol.
Il y a six ans, la neige qui était tombée en abondance la nuit du 19 au 20 décembre était en deuil. L’Alzheimer venait d’avoir raison de lui, après huit ans de combat inégal. Mais les attaques de la maladie n’auront pour autant, à part les derniers mois, jamais altéré son humour. Ni son sourire en coin. Parce que du plus loin que sa mémoire évanescente pouvait remonter, les blagues de Popol restaient toujours d’excellents souvenirs.
3 commentaires pour Les Bidochon en pèlerinage
Merci pour cette amusante anecdote. Ton papa, pour moi, … le souvenir des soirées de la Fancy-fair de la paroisse Saint Paul. Les sketchs tant attendus … la salle était comble. Et là aussi, il avait ce sourire “jubilatoire” … à mon avis, il devait y avoir une grande place à l’improvisation.
Ton Popol de Père nous a fait le coup d’un faux journal lors d’une fancy-fair à l’école des frères en mettant le frère Maxence en position d’être nommé provincial.. je te dis l’étonnement de l’intéressé et les fous rires de Jean Landrieu, José Vanhulle et consort..
Votre père comme l’a connu ma mère aux “pitres de st Paul”. L’humour est vraiment la bouée indispensable dans le courant de la vie.