En cette journée internationale contre la violence faite aux femmes, une image m’obsède. Celle d’une gamine de treize ans affublée d’une inscription au marqueur sur le front. « Je suce », en lettres capitales. Ça n’était pas à Ciudad Juarez au Mexique, ni à Tegucigalpa au Honduras, ni encore à Kinshasa au Congo. C’était à Bruxelles, à Uccle plus précisément, ce vendredi 20 novembre à midi. Je suis dans un bus. La fille d’un couple d’amis y monte avec ses copines. Elles sont toutes peinturlurées et couvertes de farine. Je leur demande pourquoi ce carnaval en novembre. C’est la Saint-V, me répondent-elles. Je m’étonne : Mais quand même pas à votre âge !… Elles me rappellent alors que c’est la coutume que les étudiants de l’ULB aillent dans leur ancienne école secondaire pour s’amuser, aux dépens des uns et des autres. S’amuser en jetant de la farine, en marquant au bouchon, ou en écrivant des phrases diverses au marqueur. Ah. Mais est-ce réellement s’amuser que d’écrire « Je suce » sur le front d’une gamine de treize ans ?
Je ne peux m’empêcher de penser au débat que j’ai animé la veille au Parlement européen avec des ONG. C’était sur les féminicides, ces meurtres crapuleux de femmes, tout simplement parce qu’elles sont femmes, qui se développent dans de nombreux endroits du globe, et notamment en Amérique centrale. Au départ de cette violence physique extrême, la violence sexuelle. L’homme, un peu partout dans le monde, considère encore la femme comme un objet de jouissance, à même d’assouvir ses pulsions, même les plus viles et sadiques. De nombreuses femmes assassinées le sont après des séances de torture indescriptibles. Elles sont souvent retrouvées démembrées ou défigurées, avec des phrases de nature sexuelle écrites sur le corps. Au marqueur.
Au-delà de l’horreur qu’ils représentent, ce qui caractérise les féminicides est l’impunité totale dont leurs auteurs bénéficient. La justice semble se désintéresser de ce type de délit et aucun gouvernement ne semble prendre le problème à bras le corps. C’est à cette complicité implicite des autorités que veulent s’attaquer les ONG présentes au Parlement européen jeudi dernier.
Et c’est l’impunité certaine que connaîtra l’auteur de cette inscription « Je suce » sur le front d’une gamine de treize ans qu’entend dénoncer le présent billet. Depuis, certes le front est lavé. Mais non l’affront. Comment peut-on, à Bruxelles, s’émouvoir de meurtres crapuleux commis à des milliers de kilomètres si l’on ne sanctionne pas de telles inscriptions ? Qui a écrit cela ? Un jeune étudiant universitaire à l’évidence, c’est-à-dire quelqu’un qui connaît une situation certainement plus privilégiée que ces Mexicains, Honduriens ou Congolais qui vivent dans un climat permanent de violence. Un étudiant qui a suivi des cours de morale, de citoyenneté et qui, peut-être, a participé avec ses parents à la Marche Blanche il y a treize ans. Un étudiant qui a bien rigolé vendredi dernier, avec ses potes qui, eux aussi sans doute, auront bien rigolé de cette inscription pour le moins hilarante.
Cas isolé ? Je ne sais pas. Je n’ai pas vu d’autres « Je suce » dans le bus. Mais c’est de toute façon un cas grave.
Lorsque des injures racistes sont proférées dans un stade de foot par une kyrielle de supporters cons et éméchés, la sanction est souvent de faire jouer le match suivant dans un stade vide. La gravité des faits est telle qu’on ne peut que la déplorer collectivement. Marquer le coup.
Eh bien, je suggère que l’année prochaine, toutes les écoles secondaires de Bruxelles interdisent tout simplement leur accès aux fêtards de la Saint-V. En expliquant pourquoi. Marquer le coup contre de tels marqueurs. En expliquant que personne n’a le droit d’inscrire Je suce sur le front de quelqu’un d’autre. Que c’est une question de droits de l’Homme. Et que ceux-ci doivent certainement commencer par le droit des femmes. Pas seulement à Ciudad Juarez, à Tegucigalpa ou à Kinshasa. Mais aussi à Bruxelles.
un commentaire pour L’impunité impunie
Si les copains de l’étudiant qui a fait ça et qui ont certainement rigolé en assistant à la scène sont évidemment tout aussi coupables que lui, que dire des copines de cette fille qui l’ont laissée se promener ainsi ? Admettons qu’elles n’aient pas eu le "matériel" pour effacer l’inscription sur place, elles auraient facilement pu la couvrir avec un bandeau, un bonnet, une écharpe,…
Loin de moi l’idée de défendre les hommes en disant que les femmes "laissent faire", mais une réaction forte de la part des jeunes filles serait bien utile. Comme avec les enfants, il est nécessaire de leur donner des limites. Peut-être qu’un jour le garçon qui a fait ça se rendra compte de la gravité de son geste, s’il lit ton blog par exemple ;-))) Mais peut-être jamais…
Alors mesdemoiselles, ne vous laissez pas humilier, ne laissez pas ces futurs hommes penser que la femme est un objet de plaisir avec lequel on s’amuse.
Voilà, c’était mon acte citoyen du jour.