Je m’amuse souvent à expliquer le système belgo-belge à mes amis étrangers. Avant, ils ne comprennent rien. Mais après, malgré leur hochement de tête, je crains que ce soit encore plus nébuleux. Pire : je crains également que bon nombre de Belges seraient complètement incapables de fournir la moindre explication constitutionnelle. C’est donc la voie au poujadisme facile, mettant en cause le nombre de gouvernements pour un si petit pays.
Dans son esprit, notre système est pourtant magnifique, avec notamment cette idée de distinguer ce qui touche aux personnes (« affaires personnalisables »), les communautés, de ce qui touche aux territoires, les régions. Mais une Constitution que ses citoyens ne comprennent pas comporte à l’évidence un déficit démocratique. A priori donc, elle n’est pas bonne.
Préconisons dès lors une réelle réforme de l’Etat. Et plus au sud qu’au nord. Je m’explique.
L’idée subtile de ce distinguo qui a généré ce drôle de mot de « personnalisable » n’a finalement provoqué que du bordel et de la confusion. Considérer que parce qu’on parle la même langue on a droit aux mêmes politiques en culture, en santé, en enseignement, en aide sociale est une parfaite hérésie technocratique, il faut oser le reconnaître. Il va de soi que la vie est totalement différente à Molenbeek et à Hout-si-plou, à Uccle et à Pâturages. Chacun a droit à ses spécificités.
Des exemples.
- Pour être garçon boucher ou coiffeur, on suit l’enseignement professionnel. Bien. La Communauté française a décrété que franchement on n’a pas besoin d’apprendre les langues dans l’enseignement professionnel. Être coiffeur à La Louvière ou Bastogne ne nécessite en effet pas une maîtrise du flamand. Mais à Bruxelles ? C’est lamentable de ne pas intégrer un enseignement fort du flamand dans ce type de formation. C’est priver l’étudiant d’une compétence nécessaire et le patron coiffeur d’un atout pour son salon. Fondamentalement, c’est insulter Bruxelles dans sa configuration historique, sociologique et culturelle.
- Autre exemple : le cinéma. Le cinéma, c’est la culture, donc les affaires personnalisables, donc la Communauté française, qui développe une politique en la matière. Mais un ministre wallon se réveille un jour en se disant que tout compte fait, le cinéma c’est aussi une fameuse industrie. Il n’a pas tort, le bougre. Que l’on zieute aux States, et on voit que ça joue de l’importance dans le PIB. Et dès lors, le ministre monte son soutien au cinéma, Wallimage. Dorénavant, un producteur belge doit frapper à plusieurs portes, remplir différents types de formulaires, respecter différents types de critères, pour n’avoir finalement que des clopinettes à gauche et à droite.
- L’international. Quand on cherche les représentations en dehors de la Belgique, on ne s’y retrouve plus. Régions ou Communautés ? En fait, il y a des représentations économiques et des représentations culturelles, qui ne sont pas logées dans les mêmes bâtiments. Je m’y perds moi-même. Que dire des étrangers ?
- N’en jetez plus, la coupe est pleine. La santé. Matière éminemment personnalisable s’il en est. Mais la Communauté française est désargentée. Elle confie dès lors aux régions certaines de ses prérogatives. Ainsi, les maisons médicales n’ont pas les mêmes obligations décrétales en Wallonie et à Bruxelles. Ça n’est pas grave en soi. Mais que l’on arrête alors de considérer qu’il faut maintenir la Communauté.
A quoi sert-elle, celle-là au fait, si on s’esquinte à faire de plus en plus correspondre les exécutifs wallon et communautaire ? Et si, en outre, on crée la Cocof, espèce de petite Communauté française de la Région bruxelloise. Elle sert à renforcer la confusion. Et au passage à justifier quelques maroquins de ministres et pas mal de postes de cabinets. Côté nord, la fusion de la communauté flamande et de la région flamande a permis que la Flandre fasse de Bruxelles sa capitale, ce qui n’a évidemment aucun sens.
Le bon sens, justement, nous offre « la » solution : supprimons les communautés ! Et faisons quatre régions autonomes et fédérées dans une Belgique qui reste donc fédérale : deux régions unilingues, la Flandre et la Wallonie. Et deux régions bilingues, Bruxelles et la région germanophone. Les quatre régions auraient toutes le même statut, et chacune gèrerait aussi bien ses affaires territoriales (aménagement, économie, voiries, etc) que ses affaires personnalisables. Bruxelles, élargie à tout son hinterland économique et urbain, serait plus bilingue dans sa composition sociologique, ce qui arrangera les Flamands de Bruxelles, déjà la minorité la mieux protégée au monde. Elle dispenserait un enseignement totalement trilingue dès la maternelle (anglais, français, néerlandais) et développerait une politique culturelle à la mesure de son brassage multiculturel. Du fait d’une réforme fiscale, la capitale de l’Etat fédéral serait enfin refinancée, notamment pour toutes ses tâches de capitale internationale (mobilité, sécurité, enseignement, politique sociale). Au passage, on supprimerait les communes, qui n’intéressent plus personne à l’exception de leurs élus.
Avec une telle réforme de l’Etat, on est parti pour des dizaines d’années de sérénité et de stabilité. Et on ne rigolerait plus de la petite Belgique avec sa pléthore de gouvernements et de parlements. A l’heure où Bart De Wever propose purement et simplement de supprimer la région bruxelloise, osons plus : supprimons les trois communautés !